Les salariés sont de plus en plus souvent amenés à bouger au cours
de leur carrière, une mobilité parfois envisagée dès l’embauche, dans
une des clauses du contrat de travail. Sécurisante pour l’employeur,
mais restrictive de liberté pour le salarié, la clause de mobilité se
doit de respecter, outre des conditions de fond et de forme, la vie
personnelle du salarié.
- Mutation : aménagement ou modification du contrat ?
Le
lieu de travail n’est pas, en soi, un élément essentiel du contrat,
c’est du moins ce qui découle de la jurisprudence de la Haute cour, même
si les salariés ont certainement un point de vue très différent sur la
question. Soit le contrat prévoit expressément que le lieu de travail
est contractuel, soit l’employeur peut modifier unilatéralement cette
localisation, si toutefois elle reste cantonnée à un même secteur
géographique. En revanche, si la mutation va au-delà, il s’agira d’une
modification du contrat de travail, soumise à l’accord préalable du
salarié. La notion de secteur géographique reste très floue, c’est au
juge d’en apprécier les contours, au cas par cas. Ce qui va peser, en
pratique, sont les distances kilométriques, mais aussi les
infrastructures ou les dessertes permettant l’accès au site. Face cette
incertitude juridique, et au risque de devoir réclamer l’accord du
salarié pour une mutation hors champs géographique, la « clause de
mobilité » représente une sécurité pour l’employeur. Grâce à cette
clause, il pourra contractuellement prévoir la modification future du
lieu de travail de son salarié et décider d’une nouvelle affectation,
au-delà même du secteur géographique, sans avoir à solliciter son
accord. Une large liberté de manœuvre qui peut faire craindre des abus
au moment de la mise en œuvre de cette clause. Fort heureusement, la
jurisprudence est venue encadrer son contenu et contrôler son
application, afin de préserver les droits fondamentaux du salarié.
- Condition de validité de la clause
La forme que doit revêtir la clause de mobilité est la première garantie pour le salarié contre l’arbitraire.
Nécessité d’un écrit.
Restrictive de liberté côté salarié, cette clause de mobilité doit
impérativement être écrite et signée, à défaut elle lui sera
inopposable. Elle figure le plus souvent dans le contrat de travail, il
s’agit là du moyen le plus efficace pour que le salarié ait pleinement
connaissance des conditions de mise en œuvre. Hormis le contrat, les
autres supports sont difficilement admis, un règlement intérieur
contenant une clause de mobilité, même paraphé par le salarié, ne permet
pas de lui opposer cette clause
[1].
Concernant
la clause de mobilité prévue par convention ou accord collectif, la
jurisprudence semble avoir évolué dans un sens moins favorable au
salarié. En effet, dans un arrêt du 30 novembre 2005, la Cour de
cassation reconnaît implicitement qu’une clause de mobilité, figurant
dans un accord collectif, peut s’imposer même si le contrat est muet à
ce sujet, à condition toutefois que cette clause de mobilité
conventionnelle soit obligatoire et non facultative, qu’elle se suffise à
elle-même (sans besoin de précisions supplémentaires) et que le salarié
ait été informé de son existence au moment de l’embauche
[2]. En cas de contentieux, c’est à l’employeur de prouver que l’information a bien été donnée au salarié
[3].
Une solution dangereuse à notre sens, dans la mesure où la clause de
mobilité se retrouve « noyée » au milieu d’autres dispositions de
l’accord collectif, ce qui peut empêcher le salarié d’en prendre toute
la mesure au moment de son embauche. La reconnaissance de l’application
directe de la convention collective va également à l’encontre du
principe de faveur en matière de clauses contractuelles, principe qui
impose de choisir la disposition la plus favorable pour le salarié entre
le contrat de travail et la convention collective
[4].
Les partenaires sociaux se sont d’ailleurs saisis de cette difficulté
relative aux clauses de mobilité, dans l’ANI du 11 janvier 2008 sur la
modernisation du marché du travail, en imposant que les contrats des
salariés cadres précisent les conditions de mise en œuvre de cette
clause.
[5]
Précise et non équivoque. Second
impératif de forme, la rédaction de la clause qui doit être claire et
précise, notamment dans la définition de la zone géographique
d’application de la mobilité. La clause doit définir un « périmètre » de
mobilité qui peut être bien plus large que le secteur géographique
(voir
supra), voire même dépasser le territoire national si
l’entreprise en question a des implantations à l’étranger. L’essentiel
étant que le salarié connaisse la portée exacte de son obligation, par
conséquent, les clauses floues ou imprécises sont bannies. Seule la
définition d’une « zone géographique » semble admise par la
jurisprudence pour définir le périmètre dans lequel s’exerce la
mobilité, la notion de « groupe » ou « d’unité économique et sociale »
n’est pas valable. À titre d’illustration, la Haute cour a récemment
invalidé une clause imposant au salarié toute mutation dans une des
sociétés du groupe Renault France automobile, sans autres précisions sur
la localisation et l’étendue de la clause
[6].
Une
fois fixé, ce périmètre est intangible, sauf à signer un avenant au
contrat et donc solliciter l’accord du salarié. La Cour de cassation
n’admet pas la possibilité pour l’employeur d’étendre unilatéralement ce
périmètre. Dans un arrêt du 7 juin 2006
[7], les juges avaient invalidé une clause de mobilité, formulée de la sorte :
« La
nature commerciale de votre fonction implique la mobilité géographique
de votre poste, dans la zone d'activité X et qui pourra, le cas échéant,
être étendue en cas d'extension d'activité. »
Une solution
logique, dans la mesure où il paraît inconcevable que le salarié
s’engage à accepter sa mutation dans un établissement qui n’existait pas
au moment de son embauche.
Justifiée et proportionnée. Même si les conditions de
finalité et de proportionnalité sont surtout recherchées au moment de la mise en œuvre de la clause (voir
infra),
il n’en demeure pas moins que pour être valide, la clause de mobilité
doit respecter le double principe posé par l’article L1121-1 du Code du
travail,
« justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. » Ainsi,
dès la rédaction, la clause de mobilité doit justifier sa présence dans
le contrat : cela peut tenir à la spécificité de la fonction du salarié
(commercial, ingénieur) ou alors à l’implantation « multi-site » de
l’entreprise. Elle doit par ailleurs être indispensable à la protection
des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée au but
recherché. La conséquence directe de cet impératif est qu’une telle
clause ne peut pas figurer dans n’importe quel contrat et pour n’importe
quel poste. On comprend en effet qu’un ingénieur-informaticien, au sein
d’un groupe étendu, puisse signer ce genre de clause, en revanche, on
perçoit moins bien l’intérêt d’une clause de mobilité internationale
insérée dans le contrat d’un agent de maintenance.
- La mise en œuvre de la clause
C’est
au moment de sa mise en œuvre que le contrôle des juges sur la clause
de mobilité est le plus accru, car la mutation s’impose au salarié sans
qu’il puisse y opposer son refus. Il appartient donc aux magistrats de
vérifier que l’application de cette clause est réalisée de bonne foi et
selon les termes définis au moment de l’acceptation.
Modalités pratiques de mise en œuvre.
La
mise en œuvre de la clause de mobilité relève du pouvoir de direction
de l’employeur et s’apparente à un aménagement au contrat de travail, ce
qui implique que la mutation se passe de l’accord du salarié.
L’employeur doit néanmoins respecter un délai de prévenance
« raisonnable » entre l’envoi du courrier où il impose la mobilité, et
sa réalisation effective. La notion de délai raisonnable est floue et
dépend des circonstances de faits : éloignement entre l’ancien site et
le nouveau, changement de domicile, etc. Faute de respecter un délai
suffisant, la mutation pourra être considérée comme abusive (voir
infra)
Autre aspect « pratique » de mise en œuvre pour le salarié : la prise
en charge des frais liés à la mutation (déplacement, prime de
déménagement, etc.
[8])
Ces questions pratiques sont souvent réglées en amont, par un accord
collectif ou le contrat lui-même. L’ANI du 11 janvier 2008 incite
fortement les employeurs à faciliter la mobilité de leur salarié, en
mettant en place des mesures d’accompagnements : visite du futur lieu de
travail, aide à la recherche de logement, d’un établissement scolaire,
aide à l’obtention du permis de conduire. Pour l’heure cependant, aucune
mesure contraignante n’accompagne ce dispositif.
Refus fautif du salarié.
Une
fois qu’il a signé la clause de mobilité, le salarié s’engage
contractuellement à rejoindre la nouvelle affectation décidée par
l’employeur. Un refus constitue un manquement à cette obligation et peut
fonder son licenciement. Sur le degré de gravité, la Cour de cassation
précise que le refus
« ne caractérise pas à lui seul une faute grave. » ce qui priverait le salarié des indemnités de licenciement et de l’exécution du préavis
[9].
La gravité de la faute dépend, là encore, des circonstances propres à
chaque affaire. La faute grave ne sera caractérisée que si d’autres
éléments viennent s’ajouter au comportement fautif du salarié, par
exemple le refus de se rendre sur le nouveau site alors que l’employeur a
tout mis en œuvre pour permettre au salarié d’organiser son
déplacement, même au-delà de ce que la convention collective lui
imposait. Dans les autres cas, un refus de mobilité constitue
« seulement » une cause réelle et sérieuse de licenciement
[10].
À noter que le non-respect de la clause n’entraîne pas automatiquement
la rupture du contrat, c’est à l’employeur d’engager la procédure de
licenciement, dans le respect des règles disciplinaires.
Pour
finir, il est à signaler le cas des salariés protégés, dans leur
situation, la clause de mobilité ne fait pas échec à la protection
particulière qui leur est accordée par le Code du travail. Par
conséquent, si un salarié protégé s’oppose à l’application de sa clause
de mobilité, l’employeur peut, soit renoncer à la mobilité, soit
demander l’autorisation à l’inspecteur du travail de licencier son
salarié, si ce refus constitue une faute suffisamment grave
[11].
Quoi
qu’il en soit, dans tous les cas, le salarié peut toujours apporter la
preuve qu’il n’a pas commis de faute en démontrant que l’employeur n’a
pas, lui-même, respecté sa part d’obligations découlant de la clause, ou
encore qu’il en a fait un usage abusif ou disproportionné.
- Le contrôle poussé des juges
La
jurisprudence est très attentive à l’application de la clause de
mobilité, notamment si le salarié se retrouve licencié après avoir
refusé de s’y conformer. En cas d’abus, ou de non-respect de ses
obligations, l’employeur s’expose à une requalification de la rupture du
contrat en licenciement « sans cause réelle et sérieuse », et devra
s’acquitter des dommages et intérêts. Les juges effectuent un contrôle
très poussé, non seulement sur la validité de la clause et sur sa mise
en œuvre, mais aussi au regard du contexte dans lequel se déroule la
mutation.
Non-respect des conditions posées par le contrat. L’employeur
est tenu, lui aussi, par les termes de la clause : zone géographique,
délai de prévenance ou modalités de mise en œuvre définies dans le
contrat ou la convention collective (étant entendu qu’en la matière le
principe de faveur s’applique). Le salarié peut donc justifier le
non-respect de son obligation de mobilité par le fait que l’employeur
n’a pas non plus respecté les siennes.
« Dommages collatéraux » sur le contrat. Même
si ce n’est pas son objet, l’application de la clause de mobilité peut
avoir des conséquences indirectes sur les autres éléments essentiels du
contrat de travail. Dans ce cas, le salarié peut s’y opposer, dans la
mesure où il s’agira là d’une réelle modification du contrat,
indépendante de la clause de mobilité. La jurisprudence a, par exemple,
reconnu qu’une mutation ne pouvait être imposée au salarié si elle
entraîne une réduction de salaire (modification de la rémunération), ou
encore une rétrogradation (modification des fonctions). L’organisation
du temps de travail du salarié ne doit pas non plus être complètement
chamboulée par cette mutation. À titre d’illustration, faire passer le
salarié d’un horaire de jour à un horaire de nuit, ou encore lui imposer
de partager son temps entre deux établissements
[12], sont considérés comme des modifications du contrat de travail que l’employeur ne peut imposer.
Usage abusif de la clause.
Même
si elle respecte les termes de la clause, la mobilité peut parfois
s’avérer abusive dans la manière dont elle sera mise en œuvre.
-
Légèreté blâmable. La mutation, si elle est prévue dans la clause, doit
être mise en œuvre « dans les formes ». Ainsi, la légèreté blâmable de
certains employeurs a pu caractériser un abus de droit. La jurisprudence
a, par exemple, considéré que l’employeur avait fait un usage abusif de
la clause en imposant un déplacement immédiat à l’un de ses salariés,
dont la femme était enceinte de 7 mois, alors que le poste en question
aurait pu être proposé à quelqu’un d’autre
[13].
-Bonne
foi. Seul l’intérêt de l’entreprise doit guider la mise en œuvre de la
clause de mobilité. Si l’objet est, en réalité, de pousser à la
démission ou licencier un salarié en lui proposant une mobilité qu’il
refusera assurément, l’employeur manque à son obligation de bonne foi
contractuelle. Ainsi, comme a pu juger la Cour de cassation, s’il
apparaît qu’une mutation trouve son origine dans des problèmes
relationnels entre une salariée et son supérieur hiérarchique, et non
dans l’intérêt de l’entreprise,
« ce dernier a utilisé la clause de mobilité de manière abusive, en sorte (…) que le refus de la salariée n'est pas fautif. »[14]
-
Charge de la preuve. À noter cependant une difficulté de taille pour le
salarié dans la dénonciation d’un manquement à la bonne
foi contractuelle : c’est à lui d’apporter la preuve de l’abus. La bonne
foi est en effet présumée, jusqu’à preuve contraire. En cas de doute,
le juge pourra demander à l’employeur de se justifier en donnant un
motif objectif pour la mutation litigieuse.
Respect du principe de finalité et de proportionnalité.
Dernier
aspect du contrôle opéré par les juges, et non des moindres, le respect
du double principe de finalité et de proportionnalité de l’article
L1121-1 C.trav, dans la mise en œuvre de la clause. Une évolution
jurisprudentielle récente, amorcée en 2008 par l’arrêt « Milcent »
[15] et reprise dans une décision du 13 janvier 2009
[16] (voir AJ n°
194). Deux arrêts par lesquels la Cour de cassation impose de s’assurer que
« la
mise en œuvre de la clause ne porte pas atteinte au droit du salarié, à
son droit à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte
peut être justifiée par la tâche à accomplir et proportionné au but
recherché. » Ainsi, les juges ont considérablement étendu leur
contrôle, au lieu de se cantonner aux conditions de validité et à
l’exécution de bonne foi de la clause de mobilité, ils poussent
désormais jusqu’aux conséquences concrètes sur la vie personnelle et
familiale du salarié. L’objectif étant d’en finir (en principe) avec
certaines mutations tout à fait valides dans le fond et sur la forme,
mais très handicapantes, au regard de la situation personnelle du
salarié. Ex : celle d’une mère veuve, élevant deux enfants, à qui l’on
imposait un changement de site, ou encore une mère de famille nombreuse,
de retour de congé parental, mutée de Marseille à Paris. Lors d’un
contentieux, il faudra désormais que l’employeur prouve qu’il a respecté
les dispositions de l’article L1121-1 C. trav. et adapté sa décision à
la vie personnelle de son salarié.
[1] Cass. soc. 19 nov. 1997 n°95-41260
[2]
« Même en l'absence de clause de mobilité géographique insérée au
contrat de travail du salarié, l'employeur peut se prévaloir de
l'existence d'une telle mobilité instituée de façon obligatoire par la
convention collective, lorsque la disposition de la convention
collective se suffit à elle-même, c'est à la condition que le salarié
ait été informé de l'existence de cette convention collective au moment
de son engagement et mis en mesure d'en prendre connaissance » (Cass.
soc. 30 nov. 2005 n°03-46530)