par Service juridique-CFDT
La CFDT salue la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques plafonnant la réparation allouée aux salariés en cas de licenciements injustifiés. Conseil constitutionnel, décision n°2015-715 DC du 5 août 2015.
Le Conseil constitutionnel était saisi par une soixantaine de députés de l’opposition. Ceux-ci invoquaient, outre de nombreux griefs de procédure et l’inconstitutionnalité de certaines dispositions sans rapport direct avec le droit du travail, une rupture d’égalité entre les salariés créée par la disposition sur le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, disposition de la loi que la CFDT n’a eu de cesse de dénoncer et de combattre.
- Le plafonnement, censuré pour rupture d’égalité
Selon les requérants, la rupture d’égalité créée par la disposition encadrant les dommages et intérêts pouvant être alloués à un salarié résultait de la prise en compte de la taille de l’entreprise. Ce critère figurait avec l’ancienneté parmi ceux retenus par le législateur pour fixer des minima et des maxima pour la réparation du préjudice subi par le salarié en cas de licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Dans la décision du 5 août 2015(1), les neuf Sages ont estimé que si le législateur pouvait légitimement chercher à « assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche », il devait en cas de plafonnement des indemnités dues aux salariés licenciés « retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ».
Or, l’article 266 du projet de loi, qui encadrait l’indemnité octroyée aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse, se basait sur deux critères : l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise. Le Conseil constitutionnel a considéré que « si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise était ainsi en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise ». C’est pourquoi, la disposition, qui créait une différence de traitement méconnaissant le principe d’égalité devant la loi, était contraire à la Constitution.
En bref, selon le Conseil constitutionnel, le plafonnement n’est pas en soi contraire à la Constitution, mais il ne doit pas créer de discrimination entre les salariés selon la taille de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Ce que la CFDT avait vivement dénoncé dès l’origine et combattu à tous les stades de la procédure législative.
Cependant, sans avoir l’esprit chagrin, il convient de relever que la censure du Conseil constitutionnel semble être essentiellement liée au fait que la taille de l’entreprise est un critère totalement inadéquat au regard de l’objet des dispositions contestées, c’est-à-dire sans lien avec le préjudice subi par le salarié. Rien ne dit donc que d’autres critères, comme celui de l’ancienneté, qui a d’ailleurs été jugé pertinent par le Conseil, ne pourraient pas à l’avenir fonder d’autres dispositions du même type.
C’est pourquoi, la CFDT, tout en se réjouissant de cette décision, est bien décidée à continuer de combattre de telles dispositions inéquitables, si d’aventure elles étaient vouées à revenir sous une forme ou une autre. Ce que laissent augurer les récentes déclarations du Premier ministre, Manuel Valls.
Mais ce n’était pas là le seul grief invoqué, puisqu’au total 23 dispositions ont été censurées, dont 18 du fait de leur absence de rapport avec le texte soumis (parmi lesquelles, celle sur l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure).
Nous vous proposons ici un aperçu des autres griefs ayant retenu notre attention.
- Une procédure législative conforme, mais de trop nombreux cavaliers législatifs
Parmi les nombreuses critiques formulées à l’encontre de cette loi, les requérants contestaient la procédure législative suivie, et ce à de nombreux égards.
En deux mots, ils invoquaient une atteinte à « l’exigence de clarté et de sincérité des débats parlementaires », pour plusieurs raisons. En premier lieu, le caractère incomplet de l’étude d’impact au moment de sa transmission au Conseil d’Etat pour avis. En second lieu, le dépôt de nombreux amendements, à tous les stades de la procédure. Enfin, l’opposition s’insurgeait contrel’usage par le Gouvernement du fameux article 49, alinéa 3 de la Constitution lui permettant d’engager sa responsabilité sur un texte.
A ce titre, les députés critiquant la loi faisaient valoir en substance que de trop nombreux amendements avaient été déposés en séance (et non en Commission), alors même que l’usage de l’article 49-3 allait couper court à tout débat. Selon eux, le Gouvernement aurait au moins dû en permettre la discussion en Commission, dont le rôle était dès lors méconnu.
Le Conseil constitutionnel écarte ce grief, dans des termes sans appel : « l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi devant l’Assemblée nationale peut intervenir à tout moment lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, sans qu’il soit nécessaire que les amendements dont il fait l’objet et qui sont retenus par le Gouvernement aient été débattus en Commission » (considérant n°13).
En d’autres mots, le 49-3 bien utilisé peut couper court à tout débat (parlementaire). Le Gouvernement engage en effet sa responsabilité et cela suffit à lui donner ce droit. Il faut pourtant avouer que si, en droit, l’argument peut convaincre, un usage prolongé ou répétitif de ce type de procédure n’est jamais très bon signe pour la démocratie.
En revanche, le Conseil constitutionnel censure un certain nombre de dispositions introduites en première lecture pour la plupart, et en seconde lecture pour l’une d’elles, car celles-ci « ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi » (cons.165)(2).
Autrement dit, les Sages censurent l’usage inconsidéré des « cavaliers législatifs ». Sur le fond, ces dispositions ne concernaient pas le droit du travail. Nous n’entrerons donc pas plus dans les détails les concernant.
Enfin, une disposition de la loi portant sur les redressements judiciaires a été sauvée par le Conseil constitutionnel.
- Une validation bienvenue des dispositions relatives au redressement judiciaire
L’article 238 de la loi était également déféré. Pour rappel et en bref, ce texte permet à un tribunal saisi d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire d’ordonner une augmentation de capital ou une cession de parts des associés ou actionnaires opposés au plan de redressement. Or, les requérants y voyaient une atteinte au droit de propriété.
Pourtant, les neufs Sages n’en ont opportunément pas décidé ainsi. Tout d’abord, selon eux,lesdites dispositions avaient pour but d’encourager la poursuite d’activité des entreprises, ce qui constituait un objectif d’intérêt général. Ensuite, ils ont relevé qu’un certain nombre de conditions étaient posées dans la loi pour que le tribunal puisse prendre une telle décision :
- la cessation d’activité doit être de nature « à causer un trouble grave à l’économie nationale ou régionale et au bassin d’emploi »,
- la modification du capital doit apparaître comme « la seule solution sérieuse permettant d’éviter ce trouble »,
- l’augmentation de capital ou la cession ne peut être ordonnée avant un délai de trois mois suivant le jugement d’ouverture de la procédure(3).
De sorte que ces dispositions « ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété des associés et des actionnaires »(4).
La validation de cette disposition nous semble bienvenue. Le droit de propriété doit en effet être concilié avec d’autres intérêts. L’encouragement de la poursuite d’activité des entreprises est un objectif tout à fait louable, d’autant qu’il peut permettre, dans certains cas, de sauver des emplois.
(1) Cf. considérants n°148 à 153.
(2) V. aussi cons.168.
(3) considérant 142.
(4) considérant 145